Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CIBARIA MILITUM

CIBARIA MILITUM. Vivres, subsistances militaires, --D'après Polybe 1, chaque fantassin romain ou allié recevait, chaque mois, à peu près les deux tiers d'un médimne attique de blé. Admettons, avec M. Letronne', que la capacité du médimne était de cinquante-deux litres huit dixièmes; les deux tiers de ce dernier nombre correspondent à quatre modii romains, et précisément Caton évalue à quatre modii la quantité de blé nécessaire à un homme pour sa nourriture pendant un mois : le fantassin recevait donc environ trente litres de blé par mois. L'hectolitre de blé, de qualité moyenne, pesant 75 kilogrammes, le poids moyen d'un litre de blé est de 750 grammes : le poids total de 35 litres était de 261,250, et c'est précisément la quantité qui est allouée maintenant à chacun de nos soldats. En effet, celui-ci reçoit, par jour, 750 grammes de pain de repas et 250 grammes de pain de soupe, c'est-à-dire 30 kilog. de pain par mois de trente jours. Or, suivant MM. Lenormand et Mellet", le froment transformé en pain donne une fois son poids, plus un septième : 26k,250 = 30 kilog. Donc, la quantité de blé employée pour la nourriture du soldat français est la même que celle qu'on donnait au soldat romain ; seulement, le rendement en pain est différent, par suite du perfectionnement du blutage et de la manutention. Pline 5 disant que le poids du pain militaire (papis militaris) était égal à quatre tiers du poids du blé qui servait à sa confection, les 35 litres donnés pour un mois à chaque soldat romain devaient produire 35 (750g, + 7 °) = 35 kilos de pain; la ration journalière de pain était donc égale à 1167 grammes, mais elle n'était pas plus nourrissante que les 1000 grammes que nous donnons à nos soldats. On distribuait généralement aux soldats du blé de préférence au pain 6, non seulement pour éviter les frais et les difficultés de manutention, mais encore parce que la conservation du pain était moins facile, et que l'eau qu'il contenait ajoutant, comme nous venons de le dire, 147 C1B m1170 -C!B un tiers au poids du blé qui avait servi à sa confection, le soldat pouvait alors porter un plus grand nombre de rations. Presque toujours les Romains se contentaient d'une préparation fort simple: ils commençaient par faire griller le blé, et le broyaient au moyen de moulins à bras' et, à défaut de ceux-ci, entre deux pierres 9; puis, y ajoutant une petite quantité d'eau et de sel, ils en formaient la pâte appelée puis 9 [cIBAIIA, p. 1143], qu'ils faisaient cuire en la plaçant dans l'eau bouillante 46, C'était, du reste, la seule préparation employée par leurs ancêtres ", et c'est pour cette raison que l'empereur Julien, qui voulait rétablir les anciens usages, ne se faisait pas servir autre chose à son repas du soir". Quelquefois on faisait cuire cette pâte sur les charbons" Mais le blé ainsi préparé ne formait l'unique nourriture de l'armée que lorsqu'il était impossible de se procurer d'autres aliments. Tite-Live14 parle d'aliments cuits emportés par les soldats dans des expéditions qui eurent lieu en 295 et 296: nous verrons, en outre, qu'ils mangeaient de la viande. Le buccellatum, dont il n'est question que tard sous l'Empire15, n'est pas le biscuit, comme l'ont cru plusieurs traducteurs; ce n'est pas non plus le biscuit qui est désigné par l'expression panis siccus dans une lettre de Sénèque', puisque, dans la même lettre, cet auteur dit qu'il fait constamment usage de cet aliment et qu'il est atteint d'une maladie qui lui fait perdre les dents. Dioscoride 77 parle aussi d'une sorte de pain qu'il appelle Bis?9oç (deux fois cuit), Pline le naturaliste 18 mentionne un pain destiné spécialement aux gens de mer (panis nauticus), mais il ne parle de la deuxième cuisson qu'on lui faisait subir que pour indiquer les propriétés astringentes qu'il acquérait après cette nouvelle opération. Celse" est un peu plus explicite, quand il attribue les mêmes propriétés au pain fait avec de la fleur de farine sans levain et cuit deux fois. Enfin Procope" raconte que, de son temps, on se servait à l'armée d'une espèce de pain qu'on mettait deux fois au four, pour qu'il pût se garder plus longtemps sans se corrompre. Cette deuxième cuisson le rendait aussi plus léger, et c'est pourquoi, quand on le distribuait aux troupes, on diminuait un quart sur le poids attribué à chaque ration. Tous les détails donnés par ces différents auteurs se rapportent, non pas au biscuit, mais tout au plus au pain biscuité, qui est bien différent. Le buccellatum n'était autre chose que le blé grillé, soit pour s'en servir immédiatement, soit dans le but d'assurer sa conservation dans les magasins '1. Le blé était donc, au temps des Romains comme à présent, la base de l'alimentation; aussi, quand il venait à manquer dans une armée, celle-ci souffrait extrêmement. César n'en ayant plus, lorsqu'il faisait le siège de Dyrrachium, fit distribuer à ses troupes de l'orge, des légumes et de la viande 2'. Quand les appr ovisionnement d'orge et de légumes furent épuisés, il employa une sorte de racine très abondante dans le pays qu'il occupait, Après avoir fait sécher au feu cette racine, on la pulvérisait et on l'humectait avec du lait: selon Cuvier, cette racine, appelée chara dans les Commentaires sur la guerre civile, était un chou sauvage qu'on trouve dans les plaines de la Hongrie, et cette opinion est corroborée par Pline le naturaliste" [voy. plus haut, p. 1147]. Nous avons dit que le soldat romain recevait, même sous la République, outre le blé, des rations de viande quand on pouvait s'en procurer : nous en avons la preuve dans le fait que nous venons de rappeler et dans la mention faite par Polybe 1y d'un emplacement réservé dans le camp pour les troupeaux de l'armée. En outre, Polyen21 dit que les troupes de Scipion, qui remit en vigueur tous les anciens usages, mangeaient de la viande au moins une fois par jour, et un passage des écrits de Frontin 2s prouve aussi que cet aliment faisait habituellement partie de la nourriture du soldat. Nous croyons que c'est surtout la viande de porc qui servait à l'alimentation de l'armée romaine, non seulement parce que plusieurs auteurs mentionnent le lard parmi des approvisionnements militaires n, mais encore parce que I'usage de cette viande était très répandu en Italie R9. Varron sa parle de deux manières d'apprêter la chair de porc qui étaient usitées dans l'armée. On donnait aussi aux soldats de la viande fraîche 90 Pendant bien longtemps, la seule boisson permise à l'armée fut le mélange d'eau et de vinaigre, mélange appelé posta. Ce fut seulement sous les empereurs que l'usage du vin commença à être toléré. Pescennius Niger" défendit à ses soldats d'en boire pendant les expéditions, et d'après les expressions employées par l'auteur de sa biographie, il est facile devoir qu'il ne pouvait être alors question que du vin acheté par les soldats ; mais peu de temps après, sous le règne d'Aurélien", cette boisson fit partie'des approvisionnements de l'armée. On trouve dans le Code Théodosien 9a les règlements relatifs à sa distribution régulière [EROGATIO]. On distribuait aussi du sel et de l'huile 3i. Lorsque l'amour du luxe s'introduisit à Rome, les chefs des armées eurent à lutter contre les exigences du soldat, qui réclamait sans cesse l'amélioration de sa nourriture, et les plus énergiques se virent obligés de donner l'exemple de la frugalité. Hadrien35, lorsqu'il était en campagne, prenait ses repas en public et ne se faisait servir que du porc salé (tarit-lm), du fromage, du pain et de l'eau mélangée de vinaigre. Avidius Cassius 96 ne permettait pas à ses soldats d'emporter d'autres provisions que du porc salé, du blé grillé et du vinaigre. Pescennius Niger" exigeait que chacun préparât sa nourriture; il chassa de l'armée les boulangers qui l'avaient suivie. Mais tous ces efforts furent inutiles, et déjà au milieu du lut siècle on voit par une lettre de l'empereur Valérien68 que Claude le Gothique étant tribun chef delégion recevait par an pour sa maison militaire 3000 modii de blé, 6000 d'orge, 200 livres de Iard, 3500 sextarii de vin vieux, 150 de bonne huile, 600 d'huile de seconde qualité, 20 modii de sel, 150 livres CIB 1171 CIB de cire, une quantité qui n'est pas déterminée de foin, de paille, de vinaigre, de fruits et de légumes, etc. Parmi les serviteurs attachés à sa suite, on remarque deux chasseurs, un pêcheur, un pâtissier. Un peu plus tard le même empereur, quand il nomma Probus, encore fort jeune, au même commandement, lui attribua, outre des gratifications extraordinaires, huit livres de viande de boeuf par jour, six de porc, huit de chevreau, dix sextarii de vin vieux, de la viande salée, du sel, des légumes et du bois à discrétion; de plus, tous les deux jours une poule et un sextarius d'huile 39 Comme à notre époque, les soldats prenaient leurs repas à des heures déterminées et annoncées par une sonnerie de trompettes": le repas du matin, prandiuni, avait lieu à la sixième heure du jour et ne comprenait que des aliments froids ; le repas du soir, cccna, qui était plus substantiel, se prenait un peu avant le coucher du soleil 41. Les jours de combat, on avait soin de faire manger les soldats et de faire boire les chevaux de grand matin 42 Les chevaux étaient nourris avec de l'orge et des fourrages n. César, étant bloqué dans un camp près de la mer, nourrit ses chevaux avec de l'algue marine préalablement lavée dans l'eau douce64 L'orge, qui faisait anciennement partie de la nourriture des soldats "°, ne leur fut plus distribuée par la suite que quand le blé manquait, ou par punition i° [MIL=TUM POENAE].